Chief Knowledge Officer, Chief Learning Officer, Director of Intellectual Capital : trois titres pour une même fonction

 

Auteur
Michel GRUNDSTEIN
Ingénieur Conseil
Vice Président, Institut IIIA
Tél./Fax : (331) (01) 48 76 26 63
mgrundstein@mgconseil.fr

L'émergence d'une fonction spécifique

Dés 1990, le projet IMKA (Initiative for Managing Knowledge Assets) définissait la notion de capital de connaissances : "knowledge assets are (defined as) those assets that are primary in the minds of company's employees. They include design experience, engineering skills, financial analysis skills, and competitive knowledge" [Grundstein, 91]. Dans les pays anglo-saxons, le concept de Management des connaissances s'est développé à partir de 1994 et c'est en 1996 que ce concept a commencé à se concrétiser, notamment par la nomination des premiers cadres chargés de mettre en œuvre leur vision du Management des connaissances. Cependant, en l'absence de formation universitaire spécifique, le sens accordé à ce concept est le plus souvent marqué par l'origine et l'expérience de ses promoteurs. Ainsi l'interprétation du concept de Management des connaissances ne prend pas la même dimension selon qu'il est énoncé par un fabricant de matériel informatique, un fournisseur de logiciels ou un décideur convaincu de la nécessité de faire évoluer son organisation vers plus de création, de partage et de valorisation des connaissances de tous ses employés.

Trois écoles se sont développées, privilégiant d'avantage l'un ou plusieurs des aspects du Management des connaissances que nous avons définis dans le rapport de recherche #019806 [MG Conseil, 98] :

Prenons deux exemples : en Février 1997, à San Francisco, un séminaire intitulé "Creating Value Through Knowledge Management" donnait la parole aux premiers " Director of Intellectual Capital" et "CKOs"; en Septembre 1998, à Boston, se tenait la troisième conférence annuelle des "Chief learning Officer" intitulée "Building and Leveraging Your Organization's Intellectual Capital".

Quel que soit le pôle d'intérêt et le titre, le point commun est la position accordée à cette fonction qui se situe au plus haut niveau de la hiérarchie et le rôle essentiel joué par ses représentants pour faire en sorte de répondre à la problématique de capitalisation des connaissances de leur société.

Le fondement de la création de ces fonctions repose sur une vision du futur qui reprend notamment les thèses développées par Charles Handy [Handy, 1989], Alvin Toffler [Toffler, 90] et Peter Drucker [Drucker, 1993] : les organisations qui sauront gérer les processus de capitalisation des connaissances et créeront des environnement favorisant l'apprentissage et la création de connaissances obtiendront des avantages compétitifs. Savoir gérer le capital intellectuel deviendra alors une compétence clé.

Ainsi, au delà d'une simple mode, la création de fonctions spécifiques au Management des connaissances a augmentée de façon significative à partir de la fin de l'année 1997. La liste [Grundstein & Malhotra, 98], présentée ci-dessous, montre l'évolution du nombre de sociétés, pour l'essentiel anglo-saxonnes, ayant créé des fonctions de cette nature entre Août 1997 et Octobre 1998.

Août, 1997

20

Septembre, 1997

21

Octobre, 1997

22

Novembre, 1997

29

Décembre, 1997

38

Janvier, 1998

40

Février, 1998

47

Mars, 1998

52

Avril, 1998

52

Juin, 1998

58

Juillet, 1998

59

Août, 1998

69

Octobre, 1998

73

Chief knowledge officer, chief learning officer, director of intellectual capital

Située au niveau le plus haut de la hiérarchie, la fonction quelle qu'en soit la désignation est émergente. Elle se présente différemment selon les sociétés. Toutefois certaines caractéristiques essentielles se dégagent de par l'essence même des objectifs et des conditions nécessaires pour les atteindre.

La vision stratégique appartient au Président directeur général et aux membres du Comité de direction. C'est de leur engagement que dépend la réussite de toute initiative de management des connaissances. C'est à eux de nommer celui qui prendra la responsabilité de la fonction. Ce dernier reporte directement au Comité de direction; dans certains cas il est membre de ce comité ou siège au sein du comité.

La majorité des CKOs sont généralement issus de la direction des systèmes d'information, de la direction des ressources humaines ou d'une unité d'affaires au cœur des compétences de la société. Cependant, leur force commune est leur capacité a se faire une vue globale de la société et à comprendre le dosage de connaissances tacites et de connaissances explicites qui sont mises en œuvre. Pour eux, la réussite du projet dépend avant tout du développement de personnes partageant la même culture. Ils doivent aussi avoir une bonne compréhension des activités de la société, des processus de fonctionnement et des processus de production mis en œuvre, des systèmes documentaires, des technologies et de la gestion des systèmes d'information. La connaissance des processus permet d'assurer que le système de management des connaissances sera élaboré autour de flux d'informations cruciales pour l'entreprise; l'identification, l'acquisition, l'organisation et la distribution d'informations pertinentes sont au cœur d'un système de management des connaissances efficace. La connaissance des technologies de l'information permet de susciter et de promouvoir des systèmes informatiques qui favorisent les interactions entre les employés et facilitent le partage d'expérience et l'échange d'informations opérationnelles au quotidien.

Ainsi, le rôle essentiel d'un CKO est d'assurer que les processus, l'organisation, les systèmes d'information et la culture facilitent la communication entre les individus et favorisent un partage effectif des connaissances.

Au cours de l'année 1998, apparaissaient les premières demandes s'adressant a des cabinets de recherche de cadres dirigeants. L'encart ci-après reproduit une description de poste établie pour une organisation de 25.000 employés opérant aux USA dans une dizaine d'états.

Nous recherchons un individu exceptionnel pour devenir

Vice President, Learning & Development (VP/LD).

Ce poste est créé pour stimuler, donner de l'ampleur, mettre en place et évaluer des initiatives concernant l'apprentissage et le développement permanent de l'organisation, adaptées aux visions, aux valeurs et aux objectifs de celle-ci.

Le VP/LD travaillera en collaboration avec l'Equipe de direction, le Comité des ressources humaines, et la Direction du développement organisationnel, qu'il sera chargé de conseiller.

Le candidat retenu aura au moins quinze ans d'expérience dans des fonctions variées liées aux ressources humaines, à la formation et au développement organisationnel. De plus, la préférence sera donnée aux personnes qui, au sein d'une grande organisation, auront montré leur polyvalence, leur capacité à évaluer les besoins en ressources humaines et en développement organisationnel, leur aptitude à trouver des solutions efficaces s'adressant à un champ de fonctions croisées étendu et des niveaux de responsabilité très différents.

Ses premiers objectifs seront de mettre en place des initiatives qui :

  •  
  • permettront une utilisation plus efficace des savoirs et des savoir-faire des employés pour atteindre les objectifs individuels, les objectifs des équipes et ceux de l'organisation;
  • accompagneront et renforceront l'apprentissage de façon à assurer que les idées nouvelles sont appliquées convenablement et ajoutent de la valeur aux missions de l'organisation;
  • encourageront les employés à partager les idées nouvelles et les autoriseront à les tester de façon à améliorer, tout à la fois, les performances de l'organisation et leurs performances personnelles;
  • reconnaîtront et récompenseront les employés qui apporteront des idées d'amélioration pertinentes et seront attentifs à les faire connaître et à les partager.

De plus, en fin d'année 1998, sont apparues des propositions de formation sur une période de deux ans, à l'Université de Californie à Berkeley, où dans d'autres écoles telles que l'Université du Michigan, l'Université d'état de Pennsylvanie et l'Université de Syracuse.

De ce point de vue, l'ERASM Center for Knowledge Management de l'Université Erasmus de Rotterdam, Pays-Bas, s'est certainement montré un précurseur en proposant une formation au Management des connaissances depuis 1993 [Schreinemakers, 93].

Une fonction méconnue en France

Bien que des efforts de gestion des connaissances aient été déployés en France dès les années 1980, avec le développement de nombreux systèmes experts, Les notions de Capitalisation et de Management des connaissances n'étaient pas vraiment reconnues, en tant que telles, au moment de la rédaction de ce rapport.

Pourtant, dès 1993 l'Institut International pour l'Intelligence Artificielle (I.I.I.A), organisait le premier Symposium International sur le Management des Connaissances Industrielles et Organisationnelles (ISMICK). De même, depuis 1995, des conférences et des séminaires , de plus en plus nombreux, ont sensibilisé les cadres à la problématique de capitalisation des connaissances. Ces manifestations ont donné l'occasion à de nombreux professionnels, dans des domaines aussi variés que ceux des études, de la production, de la qualité, de la R&D, des systèmes d'information et, dans une moindre mesure des ressources humaines , de présenter leurs expériences. Tous ont précisé qu'une des conditions de la réussite se trouvait dans la volonté de la Direction générale. En fait, peu d'entre-eux, ont clairement bénéficié de cet appui.

On retrouvait les mêmes observations dans le rapport 1998 de KPMG sur le Management des connaissances [KPMG, 98]. Ce rapport était fondé sur une recherche menée par The Harris Research Centre en Février et Mars 1998 parmi les dirigeants, directeurs financiers, directeurs marketing et responsables plus spécifiquement chargés du management des connaissances, représentant cent sociétés anglaises ayant un chiffre d'affaires de plus de 2 milliards de francs par an. Pour la plupart des dirigeants interrogés, la fonction émergente de "Chief Knowledge Officer" ne paraissait pas nécessaire. Néanmoins, les sociétés ayant entrepris une initiative sérieuse de management des connaissances (5% des sociétés interrogées) avaient toutes créé cette fonction.

Pour conclure, la fonction émergente de "Chief Knowledge Officer" quel qu'en soit la désignation en France, nous paraît décisive : en officialisant une fonction d'incitation assortie du budget correspondant, elle indique à tous les membres de l'entreprise une volonté claire et déterminée de l'Equipe de direction; elle encourage des façons de travailler nouvelles, autorise les personnes a investir dans la capitalisation des connaissances, soutient le changement culturel, met en place des structures gratifiantes qui donnent aux employés les raisons de se donner de la peine.

Références

[Drucker, 1993] Peter Drucker : Au-delà du Capitalisme, La métamorphose de cette fin de siècle. Dunod, Paris 1993. Edition originale "Post-capitalism Society", Butterworth-Heinemann Ltd., Oxford, Great Britain, 1993.

[Grundstein, 91] Michel Grundstein : The Knowledge Engineering Profession in the 1990s, Towards Knowledge Assets Engineering Within the Company : A Prospective Point of View. Heuristics, Volume 4, Number 2, Summer 1991.

[Grundstein & Malhotra, 98] Michel Grundstein, Yogesh Malhotra : Companies & Executives In Knowledge Management. Virtual Library on Knowledge Management, 1997-98 (URL: http://www.brint.com/km/cko.htm).

[Handy, 1989] Charles Handy : The Age of Unreason. Hutchinson, London, 1989. Traduction française: L'âge de déraison. Editions Village Mondial, Paris, 1996.

[KPMG, 98] David Parlby : Knowledge Management Research Report 1998. KPMG Management Consulting, London, 1998

[MG Conseil, 98] Michel Grundstein : Le Management des Connaissances de l'Entreprise, Problématique, Axe de progrès, Approche opérationnelle. Rapport de recherche #019806, MG Conseil, Nogent-sur-Marne, 1998.

[Schreinemakers, 93] Jos Schreinemakers : Teaching Knowledge Management at the University. Actes ISMICK95, Institut International pour l'Intelligence Artificielle (IIIA). Compiègne, 1995

[Toffler, 90] Alvin Toffler : Powershift: Knowledge, Wealth and Violence at the edge of the 21st century. Batam Books, New York, 1990. Traduction française : Les nouveaux pouvoirs (Powershift), Savoir, richesse et violence à la veille du XXIe siècle. Fayard, 1991.